De la nécessaire polyvalence à l’indispensable (re)spécialisation des journalistes Ce que j’ai appris en sept ans de journalisme multimédia [4/7]

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Catherine Créhange

Voici le quatrième post d’une série d’articles visant à partager les principaux enseignements de sept années de journalisme web. Sept ans au service de L’Echo, un « vieux média » dans lequel il fait bon travailler et expérimenter. Après la question du greffon numérique en rédaction et de la gestion d’équipe, place à celle de l’éternel débat entre polyvalence et spécialisation.

En 2012, après avoir formé les ouvriers spécialisés de la production web, rompus aux impératifs du référencement web, les rédactions en pointe se sont mises en quête de journalistes polyvalents techniquement.

Cartes, frises chronologiques, graphiques dynamiques, outils Google… Les Rémy Bricka du journalisme web avaient alors le vent en poupe. Je fais partie de cette génération de bidouilleurs qui a expérimenté la plupart des outils disponibles gratuitement, trouvant notamment dans l’iPad les germes de ma passion pour le journalisme mobile (cette méthode qui permet de mettre le web au service du reportage de terrain).

La fin de la bidouille?

Aujourd’hui, toutes les écoles de journalisme forment leurs étudiants à cette polyvalence technique.  Malheureusement, les rédactions ont fait, et font encore, un très mauvais usage de cet atout. En effet, la polyvalence est encore trop souvent synonyme de « tout venant », de journaliste à tout faire, capable d’assurer à lui-seul la couverture de l’info « sur le web ». Elle n’est toujours pas considérée comme une source de plus-value, mais plutôt comme une capacité à alimenter un flux et des « canaux » numériques.

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10 basics today's journalists need - Paige Levin

Mais entretemps, les cartes ont été rebattues : la concurrence s’est accrue, l’exigence des internautes s’est renforcée, les possibilités techniques ont explosé et les standards de qualité ont considérablement évolué.

A l’heure des applications « responsive », se lancer dans un webdoc est devenue une gageure. Visualiser quelques données avec Datawrapper ou avec Inforgr.am paraît bien dérisoire face aux productions des data-journalistes chevronnés. Le Facebook Live est devenu une affaire de réalisateurs télé. Sans compter l’exigence de la diffusion multiplateforme, l’importance du marketing éditorial, la complexité des analytics…

Il n’y a pas de doute, la polyvalence reste un atout, au moins autant qu’une connaissance minimum de l’écosystème numérique. Idem pour « la bidouille » qui permet, par exemple, de créer des récits interactifs à 360° avec peu de moyens. Mais après sept ans de pratique, je suis convaincu que ce type de profils doit rester minoritaire au sein des rédactions, tout en leur réservant une place centrale dans l’organisation.

Que ce soit pour la vidéo, la data, l’édition multicanal ou les dominantes thématiques, les médias ont plus que jamais besoin d’experts (fond et forme) capables de répondre aux exigences de l’audience en termes de qualité, de pertinence et d’usage. Ainsi, voit-on fleurir des pôles spécialisés dans l’édition multiplateforme. De son côté, l’infographie, un temps sortie des rédactions et sous-traitée, fait son retour, portée par les enjeux de la communication visuelle en ligne et les contraintes liées à l’« expérience utilisateur ».

C’est le choix qui a été fait à L’Echo, à travers le pôle multimédia dont chaque membre possède des savoir-faire spécifiques ou les acquiert au gré des projets.

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Roles in the newsroom - Data skills - CC-BY Mirko Lorenz

A chacun son job

L’objectif est d’être en mesure d’aider les journalistes à traduire et à diffuser sur les supports numériques l’information qu’ils souhaitent développer. Une logique qui implique un rôle croissant des chefs de projet, chargés de créer du lien et d’orchestrer les collaborations.

Le rôle du chef de projet est également d’être capable de faire des compromis, c’est-à-dire d’arbitrer les choix de développement en mettant en regard degré d’expertise disponible et qualité du contenu souhaitée. Mais par définition, expérimenter, c’est accepter de jouer avec les frontières des disciplines et interroger les codes en vigueur. Une démarche qui peut heurter les spécialistes et les puristes d’une discipline.

EN BREF

« A chacun son job ». La professionnalisation des pratiques numériques et une concurrence accrue entre les médias induisent une nécessaire spécialisation des profils. Parallèlement, le chef de projet doit rester polyvalent et ouvert afin pouvoir de faire des incursions dans un maximum de domaines.

Poursuivre la série

  1. Ce que j’ai appris en sept ans de journalisme multimédia
  2. Le mystère du greffon numérique en rédaction
  3. Medias et rédactions, vers une organisation en réorganisation permanente
  4. De la nécessaire polyvalence à l’indispensable spécialisation des journalistes
  5. Le multimédia par petites touches, méthodes et stratégies
  6. Ode aux journalistes passionnés, partageurs et bidouilleurs
  7. Le graal de l’éditorial et le risque de la marque blanche

LE BONUS

1 commentaire

  1. Les agences immobilières (!) ont expérimenté le « 360° renseigné » pour présenter des biens. Ce « Graal » supposé ne semble pas avoir été adopté par la clientèle. Et presque 10 ans après notre enthousiasme initial a fait place à l’humble constat :  » Il est difficile d’avoir raison seul  » ( Sorros ou Mao ? ) … La manip du 3.6 sur les écrans reste toujours délicate et les commandes semblent toutes trop sensibles, à la manière des zoom qui nous propulsent dans l’hyper espace alors que nous voulions juste reculer sur le trottoir … Idem pour les video en 3.6 dont la lecture simple fait planter des PC musclés ( voir chaine pro motogp.com ) Sans évoquer la nécessaire période d’adaptation par le public déjà saturé d’images ( « On ne fait voir « Inside Jobs » à un âne qui n’a pas très soif  » – Alain Minc dans  » Moi  » )

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