Partager la publication "Hackdays, l’innovation au coeur de la newsroom?"
Pendant deux jours, des équipes composées d'un journaliste, d'un designer et d'un développeur tentent de créer des applications ou des services innovants fondés sur le "data journalism", les réseaux sociaux et l'interactivité. Cet événement fait partie d'une série d'autres organisés dans de grandes rédactions, dont le New York Times, The Guardian, La Repubblica, El Pais, Die Zeit. La finale des ‘’Editors Lab Hackdays’’ se déroulera au GEN Summit à Barcelone, du 11 au 13 juin.
À Paris, les Hackdays, qui ont réunis neuf équipes (L’Equipe, Le Monde, Le Parisien, Le Télégramme, Metronews, Paris.fr, Paris Match, Playbac, ont vu la victoire de Radio France pour l'application Taxipp.
Au terme de votre tour du monde, quel est le principal enseignement concernant l'innovation dans les rédactions?
Antoine Laurent : Contrairement à ce qu'on pense, en matière de contenus digitaux innovants les médias traditionnels ne manquent pas de compétences. Le retard et les freins s'expliquent surtout pas un défaut d'organisation, notamment en ce qui concerne la collaboration entre les différents profils. Il y a également un problème de détection des talents en interne, des personnes capables qui sont souvent cantonnées à un seul domaine.
Il y a une réelle méconnaissance de la gestion de projets web et de ses différentes étapes: brainstorming, prototype, mockup, design, développement... Je le répète, il ne s'agit pas d'un manque de compétences techniques, mais d'un défaut d'organisation. Avoir sous la main un bon chef de projet est déjà un bon début.
Mais le réflexe le plus répandu est de vouloir embaucher le data-journaliste qui va tout changer ou le journaliste multimédia qui va produire des webdocs en séries. Ce n'est évidemment pas la solution miracle pour sauver la presse.
Ce type d'événement permet-il vraiment d'ancrer l'innovation dans une rédaction ou s'agit-il d'un "one shot"?
Le but est de créer une vraie dynamique. Contrairement aux hackathons traditionnels où les équipes se forment sur le moment et où le networking est important, ici nous demandons aux médias de créer une équipe avec un mandat clair et en phase avec sa ligne éditoriale. Ainsi, ils ont un intérêt immédiat à intégrer et à poursuivre le projet au sein de leur rédaction, et ainsi éviter le "one shot". Et c'est souvent ce qui se passe, les deux jours sont un déclencheur.
D'ailleurs, peu importe le thème de la session, l'objectif est de faire travailler ensemble des personnes qui ne collaborent pas habituellement, parce qu'elles ne sont pas dans le même bureau ou que leurs services sont séparés.
Justement, comment réagissent les responsables des rédactions face au concept?
Au début, ils sont réticents, ils pensent que c'est une vraie surcharge de travail et que ce n'est pas forcément utile. Mais, comme l'objectif des Hackdays est d'utiliser les deux jours pour servir un projet éditorial et créer un prototype fonctionnel en 48h, ils changent de perception. C'est plus facile de motiver la rédaction et de relancer d'autres projets lorsqu'on a une application à montrer.
Vous avez évoqué le data-journaliste et le journaliste multimédia, quel est selon vous le profil le plus utile dans une rédaction web?
Ce n'est ni un journaliste, ni un développeur. Il faut quelqu'un qui ait un intérêt à la fois pour l'information et les outils. C'est par exemple une personne qui à partir d'un set de données est capable d'avoir une idée de son traitement technique et journalistique.
Ce profil a un nom: le "News app developer", qui est davantage codeur que journaliste, mais qui n'est pas un ingénieur spécialisé dans la gestion du réseau ou des serveurs. D'autant que l'expérience montre qu'il y a, en général, une opposition entre ceux qui développent des contenus innovants et ceux qui s'occupent du système et qui bloquent l'innovation.
Quelles sont les principales différences culturelles entre les rédactions que vous avez vues à l'oeuvre lors des Hackdays?
Ça dépend vraiment de l'état du marché de la presse dans le pays. Aux États-Unis, face aux difficultés, il y a eu un énorme changement de mentalité par rapport au digital et au numérique. De nombreuses équipes se sont formées autour des "News app developers". En Inde, le marché des journaux se porte très bien, le lectorat est même en croissance. Les médias profitent à la fois d'un secteur technologique très développé et d'un haut niveau de compétences en matière de "project management".
On pourrait diviser les pays en deux catégories avec des médias qui "internalisent l'innovation" sous la forme d'équipes dédiées et composées d'un news app developper, d'un manager et de journalistes. C'est le cas aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Angleterre, en Allemagne ou en Argentine. Et puis, il y a les rédactions qui font appel à des agences externes. C'est majoritairement le cas en France et aux Pays-Bas. Et ce mode de fonctionnement pose des problèmes de fréquence des projets et d'intégration de l'innovation dans les mentalités, sans compter l'impact sur les budgets.
Il faut d'ailleurs noter que beaucoup de personnes qui fondent des agences de contenus web, ont d'abord proposé de travailler dans les rédactions, mais n'ont pas rencontré une écoute et un soutien suffisant. Souvent parce que le résultat n'était pas garanti... l'expérimentation n'est pas toujours bien vue.
Après votre tour du monde, dont vous donnez un compte-rendu en dix points sur votre blog, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste sur les capacités des médias à innover?
Les deux à la fois! Je suis optimiste parce qu'il est possible de réaliser facilement des petits projets innovants si les rédactions savent détecter les bonnes ressources en interne. L'idéal est de fonctionner avec une petite cellule, un mini labo qui travaille comme une "agence interne". On progresse à son rythme et si possible avec un profil du type "News app developer". Sachant qu'on peut organiser, à intervalles réguliers, des "Hackdays", des journées consacrées à l'innovation sur le modèle de ce que font beaucoup de start-ups ou même Google.
Je suis aussi parfois pessimiste quand je vois des rédactions qui se tourne vers l'extérieur pour faire un "gros coup en ligne". C'est souvent le cas avec les webdocs ou les apps de datajournalisme, qui nécessitent de gros budgets.
Retrouvez Antoine Laurent sur Twitter @Anto_l
Le Réseau Mondial des Rédacteurs en Chef (GEN) est une association à but non lucratif, attachée aux principes d'innovation et de partage de l'information dans les rédactions. L’organisation rassemble des rédacteurs en chef et les professionnels des médias de toutes les plates-formes: papier, radio, télévision, numérique, mobile. Plus de 900 rédacteurs en chef en font partie.
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