La presse américaine, le phare du journalisme mondial?

Presse US

En matière d'innovation journalistique et de nouveaux business model, les regards se tournent régulièrement vers les Etats-Unis. Des instituts de recherche, à l'image du Pew Research Center, aux sites spécialisés et liés à des universités prestigieuses comme le Nieman Journalism Lab, en passant par les fondations (The Fund for Investigative Journalism), le dynamisme américain est incontestablement une bonne source d'inspiration. Quand, sur le vieux continent, nous parlons de "crise", nombre de patrons de presse américains parlent, eux, de "transition"!

Du coup, lorsqu'on veut se projeter dans l'avenir, on jette un oeil de l'autre côté de l'Atlantique, comme on regarderait à travers une boule de cristal pour y déceler des indices du futur des médias. Avec des offres comme Slate, le Huffington Post ou plus récemment Buzzfeed, il est évident que certaines greffes fonctionnent. Mais faut-il pour autant rêver d'une transposition trait pour trait de ce qui se fait aux Etats-Unis ? 

La structure du marché de la presse n'est-elle pas foncièrement différente ? La culture, les habitudes de consommation et le rapport à l'info sont-ils vraiment identiques ? Les méthodes de management et l'attitude face à la crise sont-elles comparables à ce qu'on observe en Europe ? J'en doute. Et je dois dire que je reste parfois perplexe face à tous ceux qui cherchent et pensent trouver la solution à tous les problèmes de la presse française en glorifiant des "recettes" labellisées made in USA. Une tendance généralement doublée d'une admiration focalisée sur la performance des nouveaux modèles économiques. Des modèles qui font d'ailleurs rarement la part belle au journalisme. Bien sûr, tout n'est pas à prendre ou à laisser, mais il faut parfois remettre les faits dans leur contexte comme l'a fait Mathew Ingram, de GigaOM, lors de la rencontre intitulée Nouvelles Pratiques Du Journalisme (NPDJ), le 3 décembre, à Sciences-Po Paris:


https://twitter.com/couve/status/407788272841003008
Dans la même veine, la recette appliquée par Quartz a de quoi nous faire réfléchir sur nos vieux canevas industriels. Mais cet exemple ne doit pas faire oublier que ce succès est né d'une page blanche et qu'il ne saurait donc être transposé à nos vieux médias en mutations. Une mutation lente et laborieuse qui contraste avec la dynamique des aventures éditoriales naissantes qui ont notamment pour caractéristique de "se créer" une audience sur-mesure, réceptive à l'originalité de l'offre et au concept proposés.

Ces réussites cachent cependant une forêt d'échecs ainsi qu'une situation catastrophique pour les journaux qui survivent encore. L'investigation journalistique dépend désormais majoritairement des fondations et les budgets alloués aux reportages s'effondrent, entraînés par une chute des recettes publicitaires de 60% en 10 ans. Côté emploi ce n'est pas plus réjouissant: en 1990, la presse quotidienne comptait 450.000 employés contre 223.000 personnes en 2012, soit une baisse de 51 %.

"Ces chiffres donnent une idée de l’état actuel relativement sombre de la presse américaine. Mais il existe un certain nombre d’exemples caractérisés par un dynamisme extraordinaire ; on trouve dans le paysage des médias américains des entreprises ou des groupes qui proposent des solutions, des formules nouvelles et cela indique que certaines stratégies de transformation des médias traditionnels sont applicables et efficaces", explique Jean-Paul Marthoz (@jpmarthoz), professeur de journalisme international à l'UCL.

Jean-Paul Marthoz - UCL

Jean-Paul Marthoz - UCL

Alors, la presse américaine, le phare du journalisme mondial?

Entre journalisme conquérant et infotainment ravageur, j'avais besoin de me faire une idée et surtout de remettre en cause certains de mes a priori. J'ai donc profité de la Conférence nationale des métiers du journalisme (CNMJ), en septembre dernier, pour poser quelques questions à Jean-Paul Marthoz, spécialiste des médias américains, conseiller au comité de protection des journalistes à New York et professeur à l'École de journalisme de Louvain (UCL, Belgique).

Il confirme le contraste entre les réussites et les échecs; compare les approches européenne et américaine, parle du rachat de titres de presse par des milliardaires (Buffett, Bezos... ), et évoque l'importance du "journalisme d’intérêt public".

Le best of

Aux Etats-Unis, la crise du journalisme a précédé celle de la presse. [...] Certains ont quitté la presse pour faire du journalisme. Ils sont allés travailler dans des associations ou des universités.

Malgré ses défauts, je pense que la presse américaine a une conscience plus élevée de son rôle que dans nos démocraties européennes.

Le web est considéré par les journalistes américains comme une extraordinaire trouvaille pour faire du journalisme de qualité. Cet optimisme contraste avec l'invention de formules défensives ou protectrices que l'on voit en Europe.

En Europe, la philanthropie s'oriente davantage vers l'art que vers le journalisme.

Il s’agit de redéfinir les fondamentaux du métier, parce que la prolifération des sources d’information impose un retour aux valeurs essentielles du journalisme. Deux de ces valeurs sont décrites dans un certain nombre de rapports publiés ces derniers mois aux États-Unis. Tout d’abord, le rôle du contre-pouvoir est fondamental. D’après un récent sondage, 68 % du public américain affiche comme préoccupation de faire de la presse un contre-pouvoir (surtout après les histoires de surveillance de la NSA). Deuxième valeur essentielle : un concept de journalisme fondé sur la connaissance et la compétence. On s’éloigne donc de ce processus de déshabillage généralisé des rédactions pour, au contraire, réaffirmer fortement le rôle du journalisme : donner du sens à l’actualité. [Extrait de l'intervention de Jean-Paul Marthoz, CNMJ]

Des propos et un parti pris qui enchante l'auteur de ce post! Remettre les basiques du métier comme fondements des nouveaux modèles à construire, quoi de plus sain pour nourrir la petite flamme d'optimisme qui persiste encore.

Sinon, acceptons de changer de métier et assumons de produire des contenus à la chaîne, bâtis sur une compilation de contenus prémâchés et répondant prioritairement aux exigences formatées des réseaux sociaux et des moteurs de recherche. Et puis, surtout, finissons-en avec le respect des règles qui pèsent sur le journalisme et l'info. Vive le divertissement, vive les clics et vive l'argent!

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Nicolas Becquet

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