Le mystère du greffon numérique en rédaction Ce que j’ai appris en sept ans de journalisme multimédia [2/7]

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Catherine Créhange

Voici le second post d’une série d’articles visant à partager les principaux enseignements de sept années de journalisme web. Sept années au service de L’Echo, un « vieux média » dans lequel il fait bon travailler et expérimenter.

Un peu de contexte pour commencer : je travaille pour Mediafin, l’éditeur de L’Echo (francophone) et de De Tijd (néerlandophone). Un grand plateau, une centaine de journalistes, deux titres éditorialement indépendants et quelques services communs dont la photo, l’infographie et le pôle multimédia.

C’est dans ce cadre très stimulant que j’ai fait mes classes, au sein d’une équipe bilingue aux personnalités aussi diverses que les compétences représentées : programmation, journalisme, édition web, vidéo, UX…

Le greffon numérique

Au même titre que sortir un journal quotidiennement ou réaliser un JT, informer en ligne est un travail collectif et exigeant qui mobilise une large palette de compétences. La principale différence tient dans le fait que c’est un savoir-faire en construction permanente, un savoir-faire qui doit inventer ses propres règles en même temps qu’il s’exécute et que les usages évoluent.

Ce champ du journalisme demande de se reposer les questions fondamentales de nos missions et de notre rapport à l’internaute. Il diffère en effet des autres exercices journalistiques par l’hétérogénéité de l’audience à laquelle il s’adresse et par la mutation permanente de son environnement technologique.

Newsroom L'Echo - De Tijd - Greffon numerique

Pour embrasser tous ces défis, la transversalité des compétences et des collaborations est essentielle. A L’Echo, cette transversalité s’est construite au sein d’une cellule et non à l’échelle de la rédaction. Une incongruité puisque la production du « papier » requiert une organisation et des compétences transversales.

Ce n’est qu’après plusieurs années de cheminement parallèle qu’une convergence émerge enfin, comme une bouffée d’air après une longue plongée en apnée.

J’ai récemment remis la main sur un document rédigé en 2012. J’y décrivais une structure capable  de faire face aux exigences d’une production multisupport. Cinq plus tard, cette stratégie se met en place et elle n’a étonnement pas tellement vieillie.

En voici la philosophie de base: des rédacteurs spécialisés, concentrés sur leur mission (récolte, tri et analyse de l’information), sensibilisés à l’écosystème numérique et soutenus par une équipe de spécialistes de l’édition et du storytelling multimédia. Pas de journalistes hommes orchestres, donc, mais une collaboration multimétier.

Rien de révolutionnaire en soi, puisque c’est la manière dont fonctionne la majorité des médias! Mais visiblement, le web a véhiculé l’idée qu’une extrême polyvalence était le mode de travail le plus adapté à son économie low cost (lire le post n°4: De la nécessaire polyvalence à l’indispensable spécialisation).

A la recherche de LA stratégie

Le multimédia en rédactionPendant plusieurs années, j’ai donc avancé contre le vent avec la conviction, très naïve j’en conviens, que je serai capable, à moi seul, de faire basculer toute une rédaction vers une nouvelle organisation.

Pour ce faire, j’ai expérimenté un nombre incalculable de stratégies:

  • L’homme-orchestre : réaliser seul de grands projets, de A à Z (Comme ce webdoc  en 2013: Racontez-moi votre faillite).
    • Objectif : montrer que c’est possible.
    • Résultat : pas mal de clics et un succès d’estime, (mais en dehors de ma rédaction, évidemment).
  • Booster la visibilité d’un maximum d’articles : importation, édition, promotion…
    • Objectif : donner une seconde vie aux contenus, faire reluire l’étal.
    • Résultat : l’impression de vider, chaque jour, une baignoire à la petite cuillère.
  • Enrichir des articles à la chaîne et a posteriori: recherches de contenus multimédias, édition, etc.
    • Objectif : la satisfaction du lecteur.
    • Résultat : manque de visibilité et des doutes sur l’efficacité de la méthode.
  • Présenter des plans et des stratégies hyper détaillés et à périmètres constants pour faire évoluer l’organisation du travail.
    • Objectif : créer un déclic de la rédaction en chef, grâce à une approche rationnelle.
    • Résultat : repousser de quelques jours la rechute dans la dépression.
  • Collaborer sur un projet précis, avec un journaliste.
    • Objectif : montrer l’exemple et « évangéliser » (Je déteste ce mot).
    • Résultat : une histoire sans lendemain et un train qui repart de plus belle sur la voie du chemin de fer.
  • Rassembler une équipe aux compétences transversales et avancer.
    • Objectif : défricher, gagner en compétences et avancer malgré l’absence de mouvement collectif.
    • Résultat : apprentissage accéléré, multiplication des projets avec les journalistes « print », grande réactivité à l’actualité, élaboration d’une bibliothèque de formats et une agilité globale qui permet d’embrasser l’avenir avec confiance.
Multimedia - Newsroom

Pourquoiiiiii?!!!

La grande bascule, mythe ou réalité ?

Le rêve d’une collaboration transversale et multisupport à l’échelle de la rédaction n’est pas mort. Au contraire, il est même sur le point de se réaliser si je me fie aux progrès réalisés ces derniers mois. (La dépression post-partum risque d’être sévère).

thbaumg - Newsroom L'Echo - De Tijd - Greffon numerique

Dessin de Thomas Baumgartner - A suivre sur Instagram en cliquant sur l'image

Mais alors, pourquoi aura-t-il fallu tant d’années pour y parvenir, alors que tous les ingrédients et les savoir-faire étaient déjà présents depuis plusieurs années?

La réponse est misérablement simple au regard de l’énergie dépensée et aux longues heures de réflexion accumulées pour essayer de comprendre: la direction et la rédaction en chef n’en avaient pas pris la décision. Tout simplement. Aujourd'hui, c'est fait.

Trop tôt sans doute pour opérer une véritable bascule. Mais contrairement à bon nombre de médias qui ont nié les enjeux portés par le web, L’Echo a continué à avancer. La stratégie retenue a consisté à faire lentement murir une organisation hybride pour rester dans la course numérique et préparer la rédaction au changement.

Un espace hybride en guise de transition

Cette situation a finalement été une chance, car on m’a offert le luxe de pouvoir m’extraire du flux pour mieux y revenir. On m’a laissé façonner un espace hybride pour me permettre de partir en reconnaissance. Seul, puis en équipe, j’ai bénéficié dès 2012 de la ressource la plus précieuse qui soit: le temps. Le web, lui, s’est chargé de me fournir une boîte à outils performante et gratuite.

J’ai ainsi pu faire prospérer ma petite entreprise au sein de la grande, en m’appuyant sur trois grandes règles:

  • toujours partir de l’éditorial;
  • coller à la réalité de la production continue, pour éviter les affres du laboratoire hors-sol;
  • favoriser une collaboration transversale maximale.

Ce sont les piliers qui m’ont permis, au long de ces sept années, d’apprendre continuellement et d’avancer tout en prenant énormément de plaisir. Quel bonheur aujourd’hui de pouvoir construire, tester et tâtonner ensemble, dans cette équipe multimédia!

Quel pied de pouvoir travailler avec Raphael Cockx, ce « newsroom developer » qui depuis des années transforme mes idées saugrenues et jetées maladroitement sur le papier, en applications compatibles sur « presque » tous les supports.

Quel confort de travailler avec Roxana Sedevcic qui se préoccupe quotidiennement du service rendu à l’internaute en lui garantissant une navigation fluide et un accès facilité à l’ensemble de notre offre. Un travail ingrat et pourtant si utile.

Enfin, quel plaisir de voir Antonin, Clément et Maxime travailler sur de nouveaux formats, enrichir des articles, réfléchir à la circulation de l’info tout en se formant en permanence à de nouveaux outils pour répondre aux nouveaux usages. La transversalité, what else?

EN BREF

  • Encourager la transversalité comme méthode de travail, c’est se donner les moyens de rester agile et performant face à une mutation permanente de l’écosystème numérique.

Poursuivre la lecture de la série

  1. Ce que j’ai appris en sept ans de journalisme multimédia
  2. Le mystère du greffon numérique en rédaction
  3. Medias et rédactions, vers une organisation en réorganisation permanente
  4. De la nécessaire polyvalence à l’indispensable spécialisation des journalistes
  5. Le multimédia par petites touches, méthodes et stratégies
  6. Ode aux journalistes passionnés, partageurs et bidouilleurs
  7. Le graal de l’éditorial et le risque de la marque blanche

BONUS

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