Eric Fottorino: « Retrouver le sens de la singularité » #journalisme

Eric Fottorino Mon-tour-du-monde

Interview d'Eric Fottorino à propos de son livre consacré à sa carrière de journaliste.

Eric Fottorino a passé la plus grande partie de sa carrière au journal Le Monde. Grand reporter, directeur du journal puis enfin président du directoire du Groupe éponyme jusqu’en 2010. Il expose sa vision de la presse et de l’influence de l’ère digitale sur le métier de journaliste. Interview (réalisée pour Journalistes, le mensuel de l'AJP).

Comment percevez-vous les difficultés grandissantes auxquelles sont confrontées les entreprises de presse? Est-ce le signe d’un déclin irrémédiable?

Eric Fottorino: On ne peut pas parler de déclin de la presse. Au contraire, nous sommes à la fois dans une période de grande créativité pour adapter les contenus aux nouveaux supports, et dans une période de transition car il y a une déconnexion, un découplage entre une presse ancienne et de nouveaux modèles économiques à trouver. Lorsqu’on regarde la baisse de la diffusion, il y a de quoi s’inquiéter mais, dans le même temps, il ne faut pas céder au fatalisme : certains journaux de niche fonctionnent très bien et continuent à intéresser les lecteurs en misant sur leur singularité et leur qualité.

Comment analysez-vous la diminution constante des moyens alloués aux journalistes?

Au début des années 2000, on a introduit un venin mortel : la gratuité. A l’époque, cela a beaucoup heurté la profession. L’information n’avait plus de prix donc plus de valeur, elle était devenue un dû. Google a pillé les contenus des médias et a produit une lame de fond puissante. L’audience a augmenté rapidement mais sans la monétisation. L’information sur Internet est devenue un système lowcost dans lequel on a troqué des euros contre des centimes.

Quel est l’intérêt pour un industriel d’investir s’il n’y a pas de revenus à la clef ? Il n’y en a pas. Le jour où les tablettes seront durablement implantées dans les foyers, que les habitudes de consommation seront consolidées, il y aura à nouveau des investissements et donc des moyens alloués aux journalistes. En tout cas, je ne connais pas de média qui peut faire vivre une rédaction avec les revenus issus du web.

Eric Fottorino Mon-tour-du-monde

C. Hélie

Dans ce contexte, quelle est la première mission du journaliste?

Pendant longtemps, les journalistes ont lutté contre le silence et la chape de plomb afin de publier des informations cachées. L’époque a changé. Il faut désormais lutter contre le bruit, la cacophonie de l’info et l’accélération généralisée qui abîme et pulvérise le processus de recueil et de traitement de l’info. A l’heure où l’information est devenue « une matière première gratuite », le journaliste doit filtrer, hiérarchiser, mettre en perspective. L’écrit, et la presse en général, a encore un rôle à jouer comme repère, comme gage de fiabilité et de mémoire dans un environnement où il n’y a que de l’instantané qui prévaut.

Quels sont les plus gros défauts de l’information en ligne?

Une montée de l’insignifiant, des règles de validation moins strictes, la préférence donnée à une rumeur si elle « buzze ». On publie des informations qui sont inexactes, mais que l’on corrige ensuite… Tout cela aboutit à la ruine du contrat de lecture qui devrait être basé sur la fiabilité et la confiance. Il y a un risque que le média ne soit plus une référence. Et je pense que face aux dérives, il y aura un mouvement de rééquilibrage venant des personnes lassées de l’uniformisation, de la destruction de valeur et de la banalisation des marques.

Le paradoxe, c’est qu’a priori, avec les moyens dont on dispose, on peut être beaucoup plus créatif et pourtant, il y a une grande uniformisation. Il n’y a plus de limite de temps, d’espace ou de mode de diffusion, mais peu de sites ont vraiment intégré et valorisé toutes ces dimensions. On a tous les ingrédients mais on n’a toujours pas trouvé la recette pour réaliser le plat.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune journaliste?

Multiplier les expériences. C’est l’école du cirque, il faut apprendre à jongler, à faire du trapèze, à faire rire… Il faut apprivoiser tous les outils et les nouvelles écritures, pas en être esclave. Avec la multiplication des écrans, il me paraît également essentiel de ne jamais perdre contact avec le réel et d’accepter d’être bousculé par la réalité.

Il faut être capable de remettre en cause ce qu’on fait et ce qu’on pense, car le réel se chargera toujours de démolir vos idées reçues. Je dirais aussi qu’il faut cultiver sa mémoire pour pouvoir faire face à l’immédiat. Enfin, nous vivons dans un immense copié-collé, une duplication à l’infini de l’information, il faut donc retrouver le sens de sa singularité.

Son tour du "Monde" « Je suivis d’un coeur léger ses mots d’ordre: voyager, rencontrer, raconter. Puis recommencer. » Telle fut la philosophie cultivée par Eric Fottorino, qui commença sa carrière comme chroniqueur à La Tribune. Son premier papier, c’est pour Le Monde qu’il l’écrit, en 1974. Le début d’une histoire d’amour avec le quotidien du soir qui fit de lui un grand reporter, un chroniqueur, un rédacteur en chef pour finalement le hisser à sa tête alors que la menace de la faillite planait sur le journal. Patron de presse sur le tard, il fut surtout journaliste.Eric Fottorino évoque ainsi le métier dans ses grandeurs, ses désillusions et ses dilemmes quotidiens. Sa plume est trempée dans la vie, sans fausse pudeur, mais aigre et tranchante si la situation l’impose. Pas de règlement de comptes mais quelques scènes de châteaux, dont certaines en disent long sur les jeux de pouvoir. Tour à tour récit de voyages, roman initiatique et peinture du monde de la presse, ce livre est un témoignage sur le journalisme tel qu’il se pratiquait au tournant du siècle, lorsque l’ère numérique n’avait pas encore bouleversé le paysage médiatique.« Mon tour du Monde », Gallimard, 2012, 544pp., 22,50 €.

Nicolas Becquet

Eric Fottorino

Interview menée par François Busnel lors de l'émission Le Grand Entretien sur France Inter, le 29 mars 2012.

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L'article en version PDF:

Entretien avec Eric Fottorino

Photo d'Eric Fottorino: C.Hélie

Auteur: Nicolas Becquet

1 commentaire

  1. fe9vrier 08, 2008 au 10:33 Selon moi, bien souvent les blogs fran ais n’apportent pas d’informations en soir, mais reenrnnpet les informations de m dias fran ais, qu’ils peuvent certes enrichir avec des analyses pertinentes, de commentaires Les travail d’infos reste aujourd’hui fait par les « m dias traditionnels », notamment la presse sp cialis e qui fait souvent un travail de terrain indispensable et dont les infos remontent ensuite vers des journaux plus g n ralistes Pour un journaliste, le terrain, mettre les mains dans le cambouis de l’information, reste quand m me la meilleure fa on de d nicher des p pites.. Ce qui demande du temps et un savoir-faire Je trouve qu’on peut faire la blogosph re, part quelques p pites originales, le m me reproche qu’aux m dias traditionnels : les m mes th mes sont toujours trait s la politique, le monde des m dias, les gadgets technologiques .

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