Wedodata, l’agence qui raconte les données

Wedodata-website

SERIE : Peu nombreuses et souvent petites, les agences web spécialisées dans l'info sont rares et discrètes. Composées de bidouilleurs de talents, d'amoureux des données et du storytelling, leur travail enrichit l'info.
- Les trois agences choisies ont en commun d’être jeunes, dynamiques et surtout de faire un pari, celui du journalisme de qualité. Avec des propositions fortes, parfois militantes, elles participent aux renouvellements des pratiques grâce à la mise en scène de l'info.
- De la plus grande Ask Media à la plus petite The Pixel Hunt, en passant par Wedodata et Journalism++, voici une série de trois entretiens pour découvrir les coulisses de ces fabriques artisanales de l'info.

Nous commençons avec Wedodata qui, comme son nom l'indique, est spécialisée dans le traitement de données, sous toutes ses formes : infographie, animation, newsgame,...

A la tête de cette agence, Karen Bastien, ancienne rédactrice en chef de Terra Eco, et François Prosper, graphiste d'information. La ligne éditoriale de Wedodata est claire "Des images plutôt que des mots", un traitement de l'actualité par les données via une narration graphique et journalistique augmentée à l'aide d'une scénarisation et/ou d'interactivité.

Avec cette approche, l'agence répond à un double enjeux :

  1. Exploiter un volume toujours plus important de données.
  2. Répondre aux attentes du web où l'image joue un rôle central dans les échanges et la culture des Internets.

Wedodata en bref

  • 7 personnes : 4 salariés et 3 freelances : journalistes, chef de projet web, graphistes, developpeurs (L'équipe).
    Création : 2011
    Activité : "Nous vous aidons à communiquer vos données."
    Philosophie : "Des images plutôt que des mots"
  • Site web
  • Sur Twitter

Exemples :

Discuter avec Karen Bastien, c'est faire le plein d'énergie et d'enthousiasme. Un dynamisme et un optimisme communicatifs même lors d'un bref échange par téléphone, dont voici l'essentiel.

Comment est née WeDoData ?

Karen Bastien Wedodata

Karen Bastien

C’est un cheminement de deux personnes, François Prosper qui est infographiste et moi qui suis journaliste. Nous nous connaissons depuis 12 ans, nous avons travaillé à Libé ensemble. Au-delà du plaisir de travailler avec François, nous avons beaucoup expérimenté autour de l’image et de la pédagogie de l’information. Autant de choses que l’on n’append pas en école.

Nous avons poursuivi notre travail commun à Terra Eco pendant 5 ans, notamment avec des sujets complexes et difficiles d’accès comme l’empreinte carbonne. On s’est vraiment éclaté et à force, on s’est dit qu’il y aurait peut-être de la place pour une agence orientée vers l’info. On s’est lancé en décembre 2011.

"100% des projets sont issus d’appels entrants. C’est un vrai luxe, nous avons plus de demandes que ce que nous pouvons réaliser, du coup nous sélectionnons nos clients !"

Après 3 ans d’activité, quel bilan tirez-vous ?

On se dit qu’on a bien fait. Nous avons créé une coquille juridique parce qu’il fallait bien facturer nos prestations, mais on n’est clairement pas des chefs d’entreprise, nous sommes restés des journalistes-infographistes.

Même si elle reste de taille modeste, la structure a grossi, mais nous n’avons toujours pas de business plan, on travaille encore au feeling. On peut le faire car nous pouvons compter sur 10 ans de travail, un réseau, un carnet d’adresses… Après 3 années d’activités, nous ne faisons toujours pas de prospection, 100% des projets sont issus d’appels entrants. C’est un vrai luxe, nous avons plus de demandes que ce que nous pouvons réaliser, du coup nous sélectionnons nos clients !

Locaux Wedodata - Paris

Pensez-vous qu’il y a une bulle qui se crée autour de la datavisualisation ?

Bulle datavizOui, au même titre qu’il y a une bulle autour des activités sur le web. Beaucoup veulent en faire, mais les data ne sont pas toujours disponibles et quand c’est le cas, il manque de savoir-faire spécifiques et d’une équipe structurée avec un chef de projet, par exemple.

Il ne s’agit pas simplement d’un format industrialisable. Et il est clair que cette bulle aboutit à des résultats parfois déceptifs, même s’il y a un fort mouvement de fonds porté par une attirance pour la narration graphique.

Y-a-t-il une vraie concurrence sur ce marché ?

Non, il y a encore de la place pour de nouveaux acteurs. Pour l’instant, nous sommes peu nombreux : Datagif, Dataeye, Studio V2, J++.  Mais les grosses agences de com’ s’y mettent et leurs graphistes se forment à la dataviz avec en ligne de mire le « brand content ».

"En tant qu’agence, on est hors du circuit médiatique et on ne doit donc pas obéir à cette logique de flux qui ne valorise par toujours l’information."

Est-ce qu’il est simple de travailler avec les médias traditionnels ?

Quand un média nous démarche, il sait à qui il s’adresse et donc c’est plus simple. Nous travaillons majoritairement sur des projets à moyen ou long terme donc cela implique une méthode de travail particulière.

Pour exister, un média a besoin d’une puissance de frappe afin de produire suffisamment de contenus, ce qui implique une logique de flux. Et nous en tant qu’agence, on est hors du circuit médiatique et on ne doit donc pas obéir à cette logique de flux qui ne valorise par toujours l’information.

Comment expliquez-vous le retard des médias dans le traitement des données ?

Wedodata JO Radio FranceIl y a d’abord un retard culturel de la presse francophone dans le rapport à la culture des chiffres. Le journalisme est encore très textuel, écrit. Combien de journalistes savent encore lire un bilan d’entreprise? Et l’école et les formations existantes ne comblent pas du tout ce manque d’intérêt.

D’autre part, le travail en équipe est très peu développé, la collaboration entre différents métiers n’est pas naturelle. Une tendance qui commence à changer avec la nouvelle génération de journalistes qui ont l’habitude de travailler à plusieurs.

Il y a aussi que les médias anglo-saxons ont migré beaucoup plus tôt sur le web, ils ont donc de l’avance et plus d’expérience. Ils ont misé plus tôt sur la dataviz, à l’image du Guardian, car ils sentaient que c’était un levier pour attirer une audience potentielle forte. C’est un pari rendu possible par moins de frilosité.

Même si le contexte économique n’aide pas…

Il est évidemment difficile pour les médias francophones de rattraper le retard et de se mettre à niveau dans des domaines où l’expertise est forte. Mais tout n’est pas perdu, la mutation digitale est toujours en cours et la dataviz reste un format fort de la pédagogie de l’information.

Enfin, il faut l’avouer, les formats et les approches se cherchent encore, comme le webdoc d’ailleurs. On expérimente, c’est nouveau, il faut trouver des histoires adaptées aux formats, les publics cibles.  Mais encore beaucoup d’objets multimédias manquent d’angle. Et la raison principale c’est que tout le monde veut parler à tout le monde et à force de parler à tout le monde, on ne parle à personne en particulier. Il y a une obsession du « grand public » alors qu’il faudrait plutôt s’adresser à un « public cible », tout en restant accessible au plus grand nombre.

Quels prix pratiquez-vous ?

Une dataviz peut coûter de 500 € à 2.000 € selon sa complexité. Nous réalisons du sur-mesure donc la fourchette est très vaste. Pour un gros projet web qui implique un gros travail sur les données et l’interactivité, on peut atteindre 100.000 €.

Wedodata

Et les médias sont prêts à mettre le prix ?

Certains oui et nous travaillons beaucoup avec des clients réguliers. Il y a une forte demande pour les « gros coups », les événements d’actualités prévisibles sur lesquels les rédactions misent. Ces temps forts nécessitent un long travail en amont, parfois 6 mois avant la publication.

Dans la logique de flux, c’est une manière de se distinguer des concurrents. La dataviz est un bon moyen pour renouveler la manière dont on raconte les histoires et les interactions avec l’audience.

Ces projets vitrines profitent-ils aux rédactions ?

Oui, car à l’occasion des projets dataviz, les médias captent une audience différente, plus active que celle des webdocumentaires par exemple. La dataviz apporte une touche de jeux (newsgames), ludiques et accessibles au plus grand nombre.

Wedo-newsgameLes webdocumentaires favorisent également les interactions, non ?

Oui, mais l’approche est différente et les utilisateurs sont souvent oubliés au profit du fonds, la forme n’est hélas pas souvent travaillée. Bref, l’expérience utilisateur est souvent négligée. C’est peut-être un effet du modèle économique du documentaire qui repose sur la subvention et la priorité donnée au propos de l’auteur.

Dans la dataviz, on ne peut pas dissocier fonds et forme, nous devons faire entrer les gens dans l’image pour raconter une histoire.

L’externalisation de l’innovation est-elle vraiment une bonne chose pour les rédactions ?

L’externalisation n’est pas nouvelle. En 2007, Libé a fermé son service infographie, comme plusieurs journaux. Ce mouvement a profité à de grosses agences comme IDé.

Depuis un an et demi, il y a une réintégration des savoir-faire comme aux Echos. Il faut dire aussi que le travail a changé, les projets sont plus complexes, on intègre de l’interactivité et les discussions entre les éditeurs et les agences se complexifient.

Et puis, il y a de plus en plus de journalistes qui se forment eux-mêmes, sur le tas et qui développent un esprit collaboratif. On peut citer Florent Latrive à Libé, Jean Abbiateci, Alexandre Lechenet, Marie Coussin

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2015 ?

Toujours plus de data disponibles, que ça continue pour nous avec toujours la chance de pouvoir allier fonds et forme, avec des clients qui nous poussent dans ce sens.

=> Visiter le site de Wedodata

=> Ne partez pas ! La suite de la série est juste là :

Nicolas Becquet

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